October 31, 2004

Transe textuelle

Il est primordial de mettre au point des textes qui résistent à toute tentative d'interprétation sous forme d'images (télévisuelles, cinématographiques ou autres), le palimpseste de l'esprit étant le seul support susceptible de les restituer à leur juste valeur. L'accoutumance procurée par ces textes s'avère nettement plus forte que celle de n'importe quel élixir, n'importe quelle substance illicite.

October 30, 2004

Etat des lieux

Paris n'est plus qu'une ambiance happée par cette attitude sécrétée par la caste des contestataires consensuels aisés, les politicards capitulards, et les pubards pédérastes (et leur bouillon de culture suppurant des backoffices backrooms) ; la subversion sans prise de risque du plus grand nombre, la rébellion tout en atonie, la révolte tape à l'œil faite de poudre aux yeux.

October 24, 2004

Soldes: tout doit disparaître

Coup de balai. L'heure est au déstockage de nos contemporains déclinés en fins de série. Pris un à un, ils ne sont que des clones de deuxième zone adeptes de la pensée molle. Les neurones déglingués en flaccidités blanchâtres, ils cherchent à se les tonifier en se jetant corps et âme dans un bain de foule de tous les instants. Ils s'agrippent à cette grégarité salvatrice telle une bouée de sauvetage. Les soliloques citoyens conditionnent leurs abdications empaquetées en caisses de résonance. Le rabâchage est élevé en raison d'être, la redite en sagesse populaire, la psalomodie des radotages en philosophie new-age. Partant du rayon des mots fades, en passant par l'étalage des phrases creuses, ils tentent de fourguer, désespérément, les rondelles de leurs cervelles mises en packs cellophane sous-vide.

October 23, 2004

La Cour des Miracles

Le propre des bas-fonds est de ne jamais être illuminés, tout projecteur étant interdit dans ce théâtre d'inguérissables, dépourvu de scène car tout en coulisses.

Bien que ce carrefour grouille de monde, il fonctionne en cul-de-sac. Comme un vortex qui aspire les passants, personne ne passe à travers, chacun étant pris dans les maillons du filet invisible. On hésite, on trébuche, et on finit sur un banc. Celui qui hésite est perdu, cloué au carrefour comme à une croix.

Absolumment tout est noirci et graisseux. Le trottoir vire à l'ébène. L'autobus passe en trombe laissant derrière lui un épais nuage de gaz d'échappement. Deux pieds couverts de sacs poubelles sortent de derrière un long bac rempli de plantes artificielles. Des formes vaguement humaines gravitent autour de moi, leurs bras ballants, mugissant des borborygmes, des onomatopées, et divers mêêêêêêêê et bêêêêêêêê.

Sur le banc, un clochard à demi endormi et sapé de haillons crasseux se retourne péniblement. Ayant perdu un ultime face à face avec ses démons, il se débat avec les feuilles de journal qui lui servent de couette. Pantalon baissé et chemise déboutonnée, sa peau a pris la couleur du riz gluant servi dans les bouis-bouis de Chinatown. Une coulée d'étron ruisselle sur son croupion et macule copieusement les feuilles. Merde in France.

October 11, 2004

Insurrection livresque

Les tremblements s'apaisent. Ne reste qu'un sifflement aigu sortant de je ne sais quel recoin, ou peut-être s'agit-il d'un acouphène, pulsant à la même cadence que le battement du sang dans mes tempes. Juste au moment où l'accalmie semble s'installer définitivement, une explosion à la surface secoue l'enceinte.

Accrochées à un câble suspendu au-dessus de nos têtes et agitées comme autant de lucioles, les ampoules se mettent à clignoter en stroboscopes bruyants avant de s'éteindre.

Quelque part un groupe électrogène, dans un rugissement hésitant, se met en branle. La lumière revient. Pendant de longues secondes elle change d'intensité. Finalement une luminosité basse éclaire l'alvéole chargé de chaleur moite et de grésillements électriques.

Bien qu'à plusieurs dizaines de mètres sous terre, les bruits de la surface pénètrent jusqu'ici pour nous malaxer l'ouië de toutes parts. Véritable système pulmonaire taillé dans le calcaire et l'argile, les galeries souterraines dans notre secteur inspirent et expirent les bourdonnements de mille agonies. Suspendu au mur, un tuyau rouillé transmet les frêles échos du chaos qui se déroule à la surface. Les cris de la foule, les mouvements de panique, le fracas des explosions surfent sur l'onde liquide débitée par le télex cylindrique et s'empilent les uns sur les autres nous ensevelissant sous un éboulement sonore.

La lumière rétablie et les secousses apaisées, le voyant vert se met à clignoter sur une vieille Hewlett Packard posée par terre. Chekhina se lève et se rapproche de l'imprimante. Elle se dépace en hologramme trouble dans cette lumière jaunâtre rendue glauque par la forte humidité. Les reflets des ampoules la nimbent d'un néon flou.

Elle s'agenouille devant la sortie papier de l'imprimante, les mains en coupe afin de cueillir le flux d'eau bénite qui jaillit sous forme de feuilles A4. J'ai juste le temps d'apercevoir la première page qui arbore un long titre qui comprend les mots "encodage" et "ADN". Je vois passer une autre page estampillée d'une illustration. Il est difficile à dire de quoi il retourne, soit d'une page tirée du "Book of Kells", soit d'un mandala. Chekhina reste figée dans cette pose éminemment religieuse jusqu'à ce que la dernière feuille, qui a l'air de correspondre à un index ou à une bibliographie, se pose sur le haut de la pile.

L'impression terminée, elle saisit la liasse de feuilles et l'insère dans une enveloppe noire étanche. Une fois celle-ci scellée elle se tourne vers moi et sans quitter des yeux l'enveloppe elle me la tend.

-- Faites transiter par notre safe-house Alexandrie en vue d'une transmission à la Métathèque.

October 6, 2004

Brouillard au Pont de Tolbiac

Je traverse la Seine en me dirigeant vers le Nord et les seules étoiles qui laissent leurs empreintes sur ce ciel de plomb s'appelent Netexis, Setec, CA Île de France, et Bred.

October 3, 2004

Un avant-poste du progrès

<début_de_transmission/>
Une petite annonce rédigée en anglais et parue vendredi le 26 mars 2004 dans le journal El Mercurio à Santiago, Chili:

Int'l Sentries
Hiring ex-military staff for security in Iraq
Monthly wages starting $12.000 USD
Enquire @ City Hotel, room 203
Calle Huérfanos, Santiago
Tel: 58-157852
E-mail: isentries@masmasbajo.com


De toute évidence, il s'agit d'un cabinet de recrutement opérant en avant-poste, ayant pour but d'alimenter les réseaux de la société Blackwater, organisation à la pointe en matière de privatisation des affaires militaires.

Suite à un déjeuner de gringos sur le pouce: deux hot dog au boeuf badigeonnés d'une moutarde forte et accompagnés d'une bière Escudo, je m'y rends sans prendre rendez-vous.

Arrivé à l'étage, je trouve la porte entreouverte. Punaisée à celle-ci une feuille de papier A4, sur laquelle sont imprimés à l'italienne les noms INTERNATIONAL SENTRIES et GRUPO TÁCTICO, sert de panneau. Je frappe plusieurs fois. N'ayant pas de réponse, je pousse lentement le battant et entre dans la pièce. Minuscule, elle doit mesurer 3m x 3m.

Spartiate, c'est le moins qu'on puisse dire. Sans moquette, ni tapis, le plancher en bois est noirci à l'extrême. Une course de cafards y a lieu entre les planches. Un papier peint jaune-brun fait le tour de la pièce. Ayant fait office de palimpseste pour une multitude de taches, marques de meubles, trous, et déchirures, il est impossible d'en déceler le motif d'origine.

Un bureau tout en métal, peint en gris et passablement écaillé, se trouve au milieu de la pièce exactement. L'édition de la veille d'El Mercurio y gît sur un coin. Une boîte métallique grise et couverte de rayures, destinée au classement de cartes fiches, y est posée, le couvercle ouvert. Il contient plusieurs centaines de cartes jaunies et écornées, quelques-unes tournées en biais pour servir de signets. Son clapet fermé, un téléphone clamshell Motorola qui sert en lieu et place de téléphone fixe, clignote à intervalles réguliers. Un gobelet en papier Dunkin Donuts avec à l'intérieur plusieurs stylos Bic noirs et deux cigares cubains Bolivar Coronas Gigantes est posé périlleusement près du rebord du bureau. Un briquet Zippo et des emballages de chewing-gum Brooklyn Bridge complètent le tableau. C'est plus que des bouts de ficelles mais International Sentries à l'air de se gérer avec pas grand chose.

Derrière le bureau une fenêtre jaunie, ouverte à moitié, donne sur un vis-à-vis très rapproché. La fenêtre en face est fermée, le rideau crasseux et froissé de manière exagérée, en berne. Deux chaises métalliques sur roulettes, du même acabit que le bureau, sont placées devant et derrière celui-ci. Les rembourrages des coussins des chaises sont complètement éventrés. À gauche, un lit de camp plié est posé contre un mur, des bouts de drap débordant tous azimuts. Une corbeille en paille, qui fait tache parmi les meubles métalliques, sert de récipient à deux canettes de Coca et un sachet McDo. Dans un coin, une pile d'une dizaine de livres de poche est posée par terre, Ficciones de Jorges Luis Borges (en édition BCP Spanish Texts1) trône sur le haut. À droite une porte fermée donne sans aucun doute sur le WC à en croire le gargouillement de chasse tirée qui émane de l'autre côté.

Après une pause ponctuée par un bruit de lavabo, la poignée de la porte s'agite bruyamment en faisant des quarts de tour répétés. La porte se coince et puis s'ouvre en émettant un léger grincement. Une main gantée apparaît. Elle tient un PalmPilot.
<transmission_interrompue/>

1:The book is part of the BCP Spanish Texts series, designed to meet the needs of the fast-growing A-Level and undergraduate markets for texts in the Spanish language. Each text comes with English notes and vocabulary, and with an introduction by an editor with an expert knowledge both of the work and of the literary and cultural context in which it was produced.