Les tremblements s'apaisent. Ne reste qu'un sifflement aigu sortant de je ne sais quel recoin, ou peut-être s'agit-il d'un acouphène, pulsant à la même cadence que le battement du sang dans mes tempes. Juste au moment où l'accalmie semble s'installer définitivement, une explosion à la surface secoue l'enceinte.
Accrochées à un câble suspendu au-dessus de nos têtes et agitées comme autant de lucioles, les ampoules se mettent à clignoter en stroboscopes bruyants avant de s'éteindre.
Quelque part un groupe électrogène, dans un rugissement hésitant, se met en branle. La lumière revient. Pendant de longues secondes elle change d'intensité. Finalement une luminosité basse éclaire l'alvéole chargé de chaleur moite et de grésillements électriques.
Bien qu'à plusieurs dizaines de mètres sous terre, les bruits de la surface pénètrent jusqu'ici pour nous malaxer l'ouië de toutes parts. Véritable système pulmonaire taillé dans le calcaire et l'argile, les galeries souterraines dans notre secteur inspirent et expirent les bourdonnements de mille agonies. Suspendu au mur, un tuyau rouillé transmet les frêles échos du chaos qui se déroule à la surface. Les cris de la foule, les mouvements de panique, le fracas des explosions surfent sur l'onde liquide débitée par le télex cylindrique et s'empilent les uns sur les autres nous ensevelissant sous un éboulement sonore.
La lumière rétablie et les secousses apaisées, le voyant vert se met à clignoter sur une vieille Hewlett Packard posée par terre. Chekhina se lève et se rapproche de l'imprimante. Elle se dépace en hologramme trouble dans cette lumière jaunâtre rendue glauque par la forte humidité. Les reflets des ampoules la nimbent d'un néon flou.
Elle s'agenouille devant la sortie papier de l'imprimante, les mains en coupe afin de cueillir le flux d'eau bénite qui jaillit sous forme de feuilles A4. J'ai juste le temps d'apercevoir la première page qui arbore un long titre qui comprend les mots "encodage" et "ADN". Je vois passer une autre page estampillée d'une illustration. Il est difficile à dire de quoi il retourne, soit d'une page tirée du "Book of Kells", soit d'un mandala. Chekhina reste figée dans cette pose éminemment religieuse jusqu'à ce que la dernière feuille, qui a l'air de correspondre à un index ou à une bibliographie, se pose sur le haut de la pile.
L'impression terminée, elle saisit la liasse de feuilles et l'insère dans une enveloppe noire étanche. Une fois celle-ci scellée elle se tourne vers moi et sans quitter des yeux l'enveloppe elle me la tend.
-- Faites transiter par notre safe-house Alexandrie en vue d'une transmission à la Métathèque.