December 26, 2004

Grand Theft Ego



Quand l'esprit est retenu lié, il s'efforce de vagabonder dans les dix directions.
Lorsqu'il est laissé libre, il demeure immobile.
J'ai compris qu'il était un animal contrariant, comme le chameau.

-- Saraka, lama tibétain

Grand Theft Ego est une drogue synthétique mise au point à l'Institut International de Neurosciences à Natal au Brésil dans le cadre d'un projet confidentiel commandité par l'armée brésilienne. Le projet (nom de code: Dream Catcher) avait pour objectif de mettre au point un dispositif qui reproduirait sur support informatique une conscience humaine prise à un instant t. L'esprit humain copié-collé et prêt à faire tourner par un système logiciel associé.

Grand Theft Ego est le nom adopté par les dealers opérant sur le marché noir. La formule couramment exploitée pour la mise au point de la version illicite, facilement obtenue sur l'Internet, n'est plus qu'un ersatz frelaté de la version d'origine.

La formule subit de légères variations selon le marché ciblé. Les favalas de Rio, les discos de Miami, les traders à New York, les courtiers à Londres, les boîtes gay à Paris connaissent tous leur cocktail maison.

Sarcelles abrite les plus gros laboratoires clandestins de Grand Theft Ego en Europe continentale et sert de plaque tournante pour les filières qui alimentent les pays de l'Europe de l'Est.

L'agent chimique, dont la structure moléculaire avoisine celle de la méthadrine pure, est utilisé afin de ralentir le fonctionnement des neurones et des synapses en vue de capter leur état. S'ils sont ralentis jusqu'à l'immobilité, les neurones sont pris dans une camisole de force et livrés à un déluge de feu à l'instar d'une pellicule de film figée un instant de trop devant la lampe du projecteur. La folie est la seule issue de ce lieu innomable.

Démuni du bénéfice d'un passé, privé de l'espoir d'un avenir, l'utilisateur habite un présent immobile et éternel, paralysé hors du temps. Passé, présent, et futur fusionnés en un méta-instant réceptacle de tous les instants. L'esprit du sujet est enseveli par ce continuum et l'insoutenable révélation qu'il véhicule.

December 25, 2004

Stream of consciousness 3

Dictée reçue par hallucinations auditives et passée aussitôt en play-back.

December 24, 2004

Stream of consciousness 2

Récit au flux divaguant articulé selon un flou calculé, dans un style parlé qui ne fait que répéter texto la voix qui résonne dans sa tête.

December 23, 2004

Stream of consciousness 1

Discours fleuve en patchwork rafistolé de fil en aiguille à partir de zappings neuronaux.

December 22, 2004

Morose ennui à contes d'auteurs

Mais quels étaient donc ces asticots qui grouillaient sur le cadavre de ce qu'on osait encore appeler littérature française à la fin des années 90 ?

La déchéance voulait que certaines maisons d'édition, dirigées par des cabotins fangeux davantage connus pour leurs frasques en boîte de nuit que pour leur flair littéraire, publiaient les journaux intimes de roulures qui roulaient sur l'or, pisseuses dépressives mais fortunées qui faisaient monnayer les récits banals de leurs mille et une parties de double pénétration. Bavardages sur leurs coups doubles crachés par des bouche-trous béants.

Sinon, il était impossible de rendre visite à son éditeur pendant ces années-là sans tomber sur ces pédérastes veufs, purulents imbéciles, qui tentaient désespérément de faire publier les énièmes recueils de poèmes de leurs petits copains sidaïques expirés (textes morts-roses). Sous-poésie suppurée par des scribouillards dont la transcriptase ne rimait à rien. Même colportée sous le manteau, La Pensée Universelle n'en voulait pas.

November 28, 2004

Manifesto Destiny

Assez de ces textes qui retentissent dans le vide brièvement avant de s'évaporer, ne laissant derrière eux que quelque relents nauséabonds d'un nombrilisme devenu envahissant. Ces textes sans accroche qui passent en coup de vent, pondus par des égotistes se dandinant dans toutes les postures d'une subversion improbable devenue partie intégrante du consensus général.

Comment venir à bout de l'esprit de nos contemporains sclérosés par un abrutissement humaniste de tous les instants ? Il faut faire de nos textes des Armes de Dérangement des Masses.

Bombes logiques camouflées et neurociels off-line, chevaux de Troie programmés en vue de tout dérégler jusqu'au point de susciter un cathartique écartelement des sens.

Faisons sauter les <balises/> et brouillons les repères. Écrivons tout et son contraire. Ordonnons le chaos tout en semant la pagaille. Illuminons les recoins les plus sombres tout en portant les ténebres à la plus orgueilleuse Ville Lumière. Vautrons-nous dans le stupre des pires sacrilèges en vue d'atteindre les cîmes de la vérité la plus sacrée.

Gavons nos fresques boulimiques qui engloutissent tout, jusqu'à se boucler sur elles-mêmes. Accouchons de fils conducteurs trempés dans une anorexie délirante, se ravalant jusqu'à ce que le processus d'amenuisement fasse révéler l'essence première de nos récits.

Rampons visages masqués se délectant de cocktails avariés et elixirs caniveaux. Squattons l'espace engendré par la Très Grande Vacuité afin de mener à bien notre projet de subversion métaphysique.

Ouvrons les écluses pour lâcher des récits fleuves qui puiseraient dans les sources lexicales afin de mener à bien leur travail de sape dans les sous-bassements inondés de l'intellect. Contaminons les courants phréatiques de l'esprit. Rongons les fondations de cette piètre sagesse populaire et, une fois l'écroulement de l'édifice terminé, faisons sautiller nos feuilles follettes sur les gravats qui édifieront les fondations de la nouvelle structure absolue.

Rédigeons nos agents neuronaux infiltrés, des cellules dormantes tapies dans les recoins les plus difficilement accessibles du cerveau. Cellules en état d'éveil et toujours prêtes à s'activer pour ensuite survoler, comme des drones sans pilote, jusqu'aux horizons de la pensée assiégée.

Lançons notre flotte de manuscrits enluminés, ouvrages son et lumière, planant sous le radar de la conscience. Bombardiers furtifs, propulsés par un kérosène à base de pulp fiction, lâchant nos bouquins MOAB, tômes-pavés qui se décomposent sur des lignes de failles fractales pour s'éclater en carnets de nouvelles éparpillés aux quatres vents. Bombes Bibles à fragmentation.

Ayons pour objectif de faire résonner nos textes dans les esprits ciblés, bien longtemps après leur lecture, non comme des migraines ou des tubes de l'été, mais comme des mythes et des proclamations oraculaires.

Faire la cour à la conscience et séduisons les rêves, nullement en vue de procurer un quelconque divertissement au lecteur, mais dans le but de posséder par le viol sa sous-conscience. Onirisme Génétiquement Modifié.

Avec une frénésie d'insertions, de suppressions, de permutations, de transmutations, de rapetissements, de mots coupés, de mots collés, de mots raturés, tissons une toile d'araignée tramée à toute allure selon un savant câblage garantissant le court-circuitage des idées reçues.

Serpes à synapse pour tailler dans le vif du sujet, pilotons les textes Boeing ciselés au cutter qui s'enfoncent à toute allure dans les deux Tares Jumelles qui sont l'humanisme et la tolérance. Exploitons le raz-le-bol et faisons table rase de tout ce qui nivelle par le bas.

Dirigeons notre écriture droite comme la flamme d'une torche au propane, neurones crissant sous l'effet corrosif de nos hymnes, synapses soudés à notre guise, la narration chauffée à blanc fouettant l'esprit d'un souffle sulfureux.

Envoyons des récits en courriels vérolés au coeur du processeur cérébral afin de déclencher la gestation d'une excroissance textuelle infectueuse. Word Virus.

Fécondons le tissu du cervelet de valeurs pregnantes. L'esprit ainsi impregné, frelatons le placenta qui nourrira les organismes laissés en gestation. Une fois arrivés au point de rupture transtextuelle, au moment de l'obtention de la masse critique qui altère le fonctionnement même du cortex, provoquons l'emballement transcriptase qui use des tréfonds lexicaux afin de procéder au travail de contamination générale. Le Verbe se repaît à même le cerveau enkysté. Point de possibilité de rémission. Nous sommes au volant du Métastase Overdrive.

En expert traficants d'âmes, effectuons une plongée en apnée dans les bas-fonds de l'esprit du lecteur en vue de lui trafiquer la conscience. Grand Theft Ego.

Jetons aux orties tout ce qui se rapporte à la beauté du geste. Les vains efforts de style sont perte de temps et peine perdue. Mettons 'le paraître' entre guillemets et (les poseurs) entre parenthèses. Tirons un trait définitif sur ces récits en dentelle cousue à la fine aiguille, et à la place, pour mettre les points sur les 'i', forgeons une arme létale à partir d'un chapelet de mots, incantatoires et incandescendants, tressé avec la précision d'une chaîne d'ADN qui encapsulerait à la fois une école de pensée et son devenir. Sainte dictée hélicoïdale.

Tripatouillons les gènes, faisons un réassemblage des molécules à partir de récits transtextuellement modifiés destinés aux champs de neurones en friche. Cultivation biotextuelle.

Numericité au service de la structure absolue. La narration apparentée à la machine. Inventons le texte assembleur s'autofabriquant à partir de mots imbriqués les uns dans les autres par un nano-engin neuronal de notre conception. Texte généré et gravé à même le cerveau. Toutes marques déposées.

Les mots grouillent, innombrables nanoparticules surchargées suppurant d'un grey goo1 qui chute dans la moelle épinière avant de se calcifier en vertèbres. Cinquième colonne idéologique qui prime sur tous les Deus Ex Machina imaginables.

Vers solitaire littéraire se nourrissant de matière grise et se tortillant sous les yeux du lecteur qui, voyant le grouillement sous sa peau, écarquille les yeux dans un moment d'émotion vraie, authentique, et enfin justifiée. Le voilà révéillé de sa torpeur. Grimoire gore.

Ressourçons-nous dans la nuit blanche éternelle rythmée par le pouls du dub créatif. Réalisons notre ultime remixe éschatologique, scratchant sur les touches de nos claviers-platines de l'Apocalypse. Chillout chim(ér)ique.

1: Grey goo - gelée grise.

November 16, 2004

Tunnel vision

Ce matin, petite plongée en apnée avec la faune parisienne. Leur vue cachée par les œillères Tele 7 Jours et L'Equipe, le wagon RATP achemine les bêtes de somme vers leur destination de grégarité bestiale.

Têtes baissées, traits creusés par la résignation, avec cette attitude du bétail qui se dirige inéluctablement vers l'abattoir, les passagers se laissent bercer par le poids mort du cérémonial sans cesse recommencé. La rame gicle de station à station, une coulée de plus dans leur existence qui glisse en avant implacablement telle une lave bouillonnante de mornes platitudes.

November 1, 2004

Lucidité

Trop têtu pour détourner le regard, les yeux fixent un point à l'horizon. Le champ visuel, comme une pélicule de film au cinéma dont les perforations se disloquent sur la bobine, commence à sautiller. La vue saccadée, c'est au tour de l'audition de se déregler, telle une bande sonore parasitée elle fait place à une longue symphonie de bruits de rayures. Le champ de vision, figé un instant de trop devant la lampe du projecteur, part en fumerolles argentées, se déchirant en arabesques. Ce qui reste n'est que réalité.

October 31, 2004

Transe textuelle

Il est primordial de mettre au point des textes qui résistent à toute tentative d'interprétation sous forme d'images (télévisuelles, cinématographiques ou autres), le palimpseste de l'esprit étant le seul support susceptible de les restituer à leur juste valeur. L'accoutumance procurée par ces textes s'avère nettement plus forte que celle de n'importe quel élixir, n'importe quelle substance illicite.

October 30, 2004

Etat des lieux

Paris n'est plus qu'une ambiance happée par cette attitude sécrétée par la caste des contestataires consensuels aisés, les politicards capitulards, et les pubards pédérastes (et leur bouillon de culture suppurant des backoffices backrooms) ; la subversion sans prise de risque du plus grand nombre, la rébellion tout en atonie, la révolte tape à l'œil faite de poudre aux yeux.

October 24, 2004

Soldes: tout doit disparaître

Coup de balai. L'heure est au déstockage de nos contemporains déclinés en fins de série. Pris un à un, ils ne sont que des clones de deuxième zone adeptes de la pensée molle. Les neurones déglingués en flaccidités blanchâtres, ils cherchent à se les tonifier en se jetant corps et âme dans un bain de foule de tous les instants. Ils s'agrippent à cette grégarité salvatrice telle une bouée de sauvetage. Les soliloques citoyens conditionnent leurs abdications empaquetées en caisses de résonance. Le rabâchage est élevé en raison d'être, la redite en sagesse populaire, la psalomodie des radotages en philosophie new-age. Partant du rayon des mots fades, en passant par l'étalage des phrases creuses, ils tentent de fourguer, désespérément, les rondelles de leurs cervelles mises en packs cellophane sous-vide.

October 23, 2004

La Cour des Miracles

Le propre des bas-fonds est de ne jamais être illuminés, tout projecteur étant interdit dans ce théâtre d'inguérissables, dépourvu de scène car tout en coulisses.

Bien que ce carrefour grouille de monde, il fonctionne en cul-de-sac. Comme un vortex qui aspire les passants, personne ne passe à travers, chacun étant pris dans les maillons du filet invisible. On hésite, on trébuche, et on finit sur un banc. Celui qui hésite est perdu, cloué au carrefour comme à une croix.

Absolumment tout est noirci et graisseux. Le trottoir vire à l'ébène. L'autobus passe en trombe laissant derrière lui un épais nuage de gaz d'échappement. Deux pieds couverts de sacs poubelles sortent de derrière un long bac rempli de plantes artificielles. Des formes vaguement humaines gravitent autour de moi, leurs bras ballants, mugissant des borborygmes, des onomatopées, et divers mêêêêêêêê et bêêêêêêêê.

Sur le banc, un clochard à demi endormi et sapé de haillons crasseux se retourne péniblement. Ayant perdu un ultime face à face avec ses démons, il se débat avec les feuilles de journal qui lui servent de couette. Pantalon baissé et chemise déboutonnée, sa peau a pris la couleur du riz gluant servi dans les bouis-bouis de Chinatown. Une coulée d'étron ruisselle sur son croupion et macule copieusement les feuilles. Merde in France.

October 11, 2004

Insurrection livresque

Les tremblements s'apaisent. Ne reste qu'un sifflement aigu sortant de je ne sais quel recoin, ou peut-être s'agit-il d'un acouphène, pulsant à la même cadence que le battement du sang dans mes tempes. Juste au moment où l'accalmie semble s'installer définitivement, une explosion à la surface secoue l'enceinte.

Accrochées à un câble suspendu au-dessus de nos têtes et agitées comme autant de lucioles, les ampoules se mettent à clignoter en stroboscopes bruyants avant de s'éteindre.

Quelque part un groupe électrogène, dans un rugissement hésitant, se met en branle. La lumière revient. Pendant de longues secondes elle change d'intensité. Finalement une luminosité basse éclaire l'alvéole chargé de chaleur moite et de grésillements électriques.

Bien qu'à plusieurs dizaines de mètres sous terre, les bruits de la surface pénètrent jusqu'ici pour nous malaxer l'ouië de toutes parts. Véritable système pulmonaire taillé dans le calcaire et l'argile, les galeries souterraines dans notre secteur inspirent et expirent les bourdonnements de mille agonies. Suspendu au mur, un tuyau rouillé transmet les frêles échos du chaos qui se déroule à la surface. Les cris de la foule, les mouvements de panique, le fracas des explosions surfent sur l'onde liquide débitée par le télex cylindrique et s'empilent les uns sur les autres nous ensevelissant sous un éboulement sonore.

La lumière rétablie et les secousses apaisées, le voyant vert se met à clignoter sur une vieille Hewlett Packard posée par terre. Chekhina se lève et se rapproche de l'imprimante. Elle se dépace en hologramme trouble dans cette lumière jaunâtre rendue glauque par la forte humidité. Les reflets des ampoules la nimbent d'un néon flou.

Elle s'agenouille devant la sortie papier de l'imprimante, les mains en coupe afin de cueillir le flux d'eau bénite qui jaillit sous forme de feuilles A4. J'ai juste le temps d'apercevoir la première page qui arbore un long titre qui comprend les mots "encodage" et "ADN". Je vois passer une autre page estampillée d'une illustration. Il est difficile à dire de quoi il retourne, soit d'une page tirée du "Book of Kells", soit d'un mandala. Chekhina reste figée dans cette pose éminemment religieuse jusqu'à ce que la dernière feuille, qui a l'air de correspondre à un index ou à une bibliographie, se pose sur le haut de la pile.

L'impression terminée, elle saisit la liasse de feuilles et l'insère dans une enveloppe noire étanche. Une fois celle-ci scellée elle se tourne vers moi et sans quitter des yeux l'enveloppe elle me la tend.

-- Faites transiter par notre safe-house Alexandrie en vue d'une transmission à la Métathèque.

October 6, 2004

Brouillard au Pont de Tolbiac

Je traverse la Seine en me dirigeant vers le Nord et les seules étoiles qui laissent leurs empreintes sur ce ciel de plomb s'appelent Netexis, Setec, CA Île de France, et Bred.

October 3, 2004

Un avant-poste du progrès

<début_de_transmission/>
Une petite annonce rédigée en anglais et parue vendredi le 26 mars 2004 dans le journal El Mercurio à Santiago, Chili:

Int'l Sentries
Hiring ex-military staff for security in Iraq
Monthly wages starting $12.000 USD
Enquire @ City Hotel, room 203
Calle Huérfanos, Santiago
Tel: 58-157852
E-mail: isentries@masmasbajo.com


De toute évidence, il s'agit d'un cabinet de recrutement opérant en avant-poste, ayant pour but d'alimenter les réseaux de la société Blackwater, organisation à la pointe en matière de privatisation des affaires militaires.

Suite à un déjeuner de gringos sur le pouce: deux hot dog au boeuf badigeonnés d'une moutarde forte et accompagnés d'une bière Escudo, je m'y rends sans prendre rendez-vous.

Arrivé à l'étage, je trouve la porte entreouverte. Punaisée à celle-ci une feuille de papier A4, sur laquelle sont imprimés à l'italienne les noms INTERNATIONAL SENTRIES et GRUPO TÁCTICO, sert de panneau. Je frappe plusieurs fois. N'ayant pas de réponse, je pousse lentement le battant et entre dans la pièce. Minuscule, elle doit mesurer 3m x 3m.

Spartiate, c'est le moins qu'on puisse dire. Sans moquette, ni tapis, le plancher en bois est noirci à l'extrême. Une course de cafards y a lieu entre les planches. Un papier peint jaune-brun fait le tour de la pièce. Ayant fait office de palimpseste pour une multitude de taches, marques de meubles, trous, et déchirures, il est impossible d'en déceler le motif d'origine.

Un bureau tout en métal, peint en gris et passablement écaillé, se trouve au milieu de la pièce exactement. L'édition de la veille d'El Mercurio y gît sur un coin. Une boîte métallique grise et couverte de rayures, destinée au classement de cartes fiches, y est posée, le couvercle ouvert. Il contient plusieurs centaines de cartes jaunies et écornées, quelques-unes tournées en biais pour servir de signets. Son clapet fermé, un téléphone clamshell Motorola qui sert en lieu et place de téléphone fixe, clignote à intervalles réguliers. Un gobelet en papier Dunkin Donuts avec à l'intérieur plusieurs stylos Bic noirs et deux cigares cubains Bolivar Coronas Gigantes est posé périlleusement près du rebord du bureau. Un briquet Zippo et des emballages de chewing-gum Brooklyn Bridge complètent le tableau. C'est plus que des bouts de ficelles mais International Sentries à l'air de se gérer avec pas grand chose.

Derrière le bureau une fenêtre jaunie, ouverte à moitié, donne sur un vis-à-vis très rapproché. La fenêtre en face est fermée, le rideau crasseux et froissé de manière exagérée, en berne. Deux chaises métalliques sur roulettes, du même acabit que le bureau, sont placées devant et derrière celui-ci. Les rembourrages des coussins des chaises sont complètement éventrés. À gauche, un lit de camp plié est posé contre un mur, des bouts de drap débordant tous azimuts. Une corbeille en paille, qui fait tache parmi les meubles métalliques, sert de récipient à deux canettes de Coca et un sachet McDo. Dans un coin, une pile d'une dizaine de livres de poche est posée par terre, Ficciones de Jorges Luis Borges (en édition BCP Spanish Texts1) trône sur le haut. À droite une porte fermée donne sans aucun doute sur le WC à en croire le gargouillement de chasse tirée qui émane de l'autre côté.

Après une pause ponctuée par un bruit de lavabo, la poignée de la porte s'agite bruyamment en faisant des quarts de tour répétés. La porte se coince et puis s'ouvre en émettant un léger grincement. Une main gantée apparaît. Elle tient un PalmPilot.
<transmission_interrompue/>

1:The book is part of the BCP Spanish Texts series, designed to meet the needs of the fast-growing A-Level and undergraduate markets for texts in the Spanish language. Each text comes with English notes and vocabulary, and with an introduction by an editor with an expert knowledge both of the work and of the literary and cultural context in which it was produced.

September 30, 2004

I'm just not a people person

Cette populace, clopin-clopant, bredouillante et hébétée, la main éternellement tendue pour mendier quelque allocation et qui, sans vergogne, la ramène à la bouche en couinant, "c'est pour manger M'sieur, c'est pour manger." Friande d'assistanat, entassée dans ses clapiers à lapins, toujours à exalter sa propre bassesse, à revendiquer le privilège de se vautrer aux frais d'autrui, et à exiger que son statut de victime soit transformé en droit universel. Préservons-nous de la tyrannie de ces faiblards.

August 20, 2004

Périph'

5H30.

Un imposant calme trompeur s'empare de Paname dans le bref intervalle immiscé entre la nuit profonde et l'aurore. La capitale, nettoyée de ses piétons, cède provisoirement l'ensemble de son bitume aux présences mécanisées et le moindre bruit de pas brise le frêle silence. L'attente d'un taxi est accentuée par le grésillement d'un réverbère électrique.

Le taxi arrive en trombe, dans le sens opposé, en face de la tête de station. Je balance mon barda à l'arrière côté conducteur et je me cale dans le siège côté passager.

- Bonjour. Roissy, s'il vous plait. Terminal 2D.

Le conducteur me regarde dans son rétroviseur et, pour tout acquiescement, esquisse un hochement de la tête avant de démarrer. En route !

Nous sommes arrêtés à un feu rouge dans le nouveau quartier habité par le Ministère de la Finance, SAP, et divers groupes internationaux. Tout est lisse, inerte, d'une pureté javellisée. A croire que l'endroit est passé au Kärcher par le froid sec de ce matin hivernal plus que rude. Des constructions toutes neuves, nouvellement sculptées et d'apparence vierge, inondent de leurs éclairages un macadam qui a à peine servi.

Au coin de la rue Louis Weiss, un intrus quelque peu saugrenu, sous forme d'un vieux troquet récalcitrant pris en sandwich entre deux édifices immaculés, squatte l'ultime emplacement suranné encore indemne dans ce carré de maisons. Les constructions de chaque côté tentent d'évacuer ce résidu sombre par la seule blancheur de leur présence fluorescente.

Nous franchissons la passerelle qui surplombe les lignes SNCF et RER. Côté passager, les projecteurs font jaillir des mirages sur les rails ferroviaires qui tracent des arabesques argentées vers la banlieue Sud. En bas de la rue, le complexe MK2, citadelle post-moderne éclatante de verre et d'acier, nous fait son cinéma.

Pont de Bercy. Lampadaires (côté Seine) et réverbères (côté Métro) défilent en chapelets flous. Les arcades façon aquéduc coiffent un trottoir sillonné par un chemin pour cyclistes. Au-dessus, le premier métro direction Nation rugit dans un vacarme de ferraille.

On vire à droite devant le palais néo-aztèque du Centre Omnisport de Bercy pour emprunter le quai du même nom. Sur l'autre rive de la Seine, les énormes stèles de la TGB, noires comme l'ébène et parsemées de points scintillants troubles, se haussent derrière les péniches, tapissant le fleuve d'un reflet glauque.

Du côté de l'ancien emplacement des Grands Moulins de Paris, je peux discerner des grues de construction. Elles sont à peine perceptibles contre le ciel de plomb airbrushé aux teints 'fin du monde'. Leurs contours se dégagent grâce aux phares stroboscopiques d'un violet fluo qui pulsent en continu comme pour accompagner la cadence d'une activité industrieuse. Pourtant, le travail est stoppé net depuis la tombée de la nuit. Les grues désarticulées restent immobiles, happées dans diverses postures telles un ballet interrompu en pleine séance.

On quitte le quai de Bercy en montagnes russes. La route pique violemment pour ensuite grimper à côté d'une baleine grisâtre naufragée qui frôle l'échangeur. Ci-gît le Centre Commercial de Bercy. Des logos de marque tout en couleurs primaires se levent dans le ciel devenu firmament tapissé d'enseignes à neon qui fardent l'éther de leur maquillage bon marché.

Sur le périph', la chaussée file à toute vitesse effleurant l'orée de la talibanlieue.

A la porte de Bagnolet, la bretelle vers l'autoroute A3 monte en pente raide vers le ciel et nous sommes emportés par un pont aérien éclairé par un jour artificiel généré par les lampes à sodium qui balaient l'obscurité. L'A3 contourne ainsi le no man's land planqué en contrebas.

La ligne droite vers Roissy démarre véritablement.

L'asphalte de l'A3 se transforme en tapis volant à tombeau ouvert, slalomant entre les barrières anti-bruit qui flanquent la route.

Une énorme bâtisse surgit côté droit. HLM d'une dizaine d'étages, la façade est ondulée tout en largeur comme pour mieux épouser les cambrures de l'autoroute et l'immeuble est chapeauté par un énorme panneau lumineux chantant les louanges d'un constructeur informatique. Quelques lumières à l'intérieur témoignent de l'activité matinale des premiers éveillés. A l'extremité Sud aux étages supérieurs, les rebords des fenêtres fraîchement léchés par le carbone et les vitres explosées trahissent le labeur d'un incendie récent.

Voyant la route devant nous dégagée, le chauffeur appuie sur le champignon. En mettant le turbo, nous abandonnons ces quartiers qui turbinent au rythme des allocs pour pénétrer dans un secteur boisé, le véhicule effectuant un plongeon dans une forêt noire.

Un peu plus loin le bahut file sous une passerelle dont la façade nous offre une fresque en graffiti peinte à la bombe. Il s'agit d'un Bugs Bunny. La tête couronnée, il porte une robe de monarque à col de fourrure. Le bidextre Bugs tire dans le tas avec ses deux AK-47, le visage hilare fidèle au style de la grande époque Chuck Jones. Bravo l'artiste.

L'apparation de Bugs nous signale que nous quittons la lieueban sinistre pour reprendre pied bientôt en contrées civilisées. Les panneaux routiers y vont de leur compte à rebours sous forme d'abécédaire énumerant les terminaux aériens de Roissy.

August 10, 2004

Au régal des vermines

Pakistan Times 2004-07-23:

Gaza City: Two Palestinians have been killed in a missile attack in Gaza City. One of the dead included a leader of the armed wing of the Islamic Jihad, the radical movement said.

Witnesses say an Israeli helicopter fired a missile into a car cutting the vehicle in two in the Zeitun area of Gaza City.

The district is known as a stronghold of the actvists, who have been frequently targeted by Israeli forces. Palestinian medics said a third person was wounded."


Il a eu le temps de voir le projectile faire une cabriole de cirque avant de pulvériser son pick-up.

L'impact frontal l'a happé dans sa posture de caïd.

Pris dans une nasse tissée à partir des fissures de ce qui reste de la vitre arrière, il crachote des cailloux de sang, autant de pierres précieuses constituant son obole pour paver le sentier de la paix.

La déflagration a entrelacé un morceau de tôle froissée avec le tissu brûlé de son keffieh, lui façonnant une couronne. Sa tête ainsi ceinte, il trône dans son épave dans l'attente des secours humanitaires qui feraient mieux de lui faire fausse route.

Autour de lui, des mains furtives et rapides telles un grouillement de blattes picorent les lambeaux de chair sur les dépouilles de ses compagnons de route.

A l'hôpital, sur le terrain fertile des bandes de gaze à côté de sa bouche, une perle de sang s'étoile, jouxtant ses lèvres boursouflées et écarlates qui se séparent. Il pousse son dernier borborygme.

Sur les bandes de gaze à côté de sa bouche.

Les bandes de gaze...

-- Ah.

July 14, 2004

93 pour les intimes

Face à ces véhiculeurs du néant et leurs carnets trop lisses et transparents, il était grand temps de maculer ces écrans d'ordi d'un peu de sang, d'un peu de foutre, un peu de gras, un peu de chair, et un peu de haine avant de les percer de quelques coups de canif, ou si vous préférez, de les trucider au cutter façon 9-cube.

July 4, 2004

Une bonne partie de cette carnetosphère française est habitée par une faune rouge-brune-verte composée de nazillons et autres bobos-Eichmann en herbe qui pérorent sans cesse au sujet de la respectabilité des uns et le caractère fréquentable des autres. Leurs jacasseries et leurs piailleries ne font plus qu'un bourdonnement en bruitage de fond avant de tomber, de façon très appropriée, à côté de la plaque qui leur sert de couvercle d'égout à travers lequel coulent les suintements diarrhéiques de leur banqueroute intellectuelle.

July 1, 2004

La DCA de ces ramollis du bulbe s'est bel et bien déclenchée au moment où il a plané au-dessus de leurs têtes de noeuds mais ils n'ont pas réussi ne serait-ce qu'à l'égratigner. Comme cette populace est programmée à capituler, ils avaient cédé leur blogobidule sans coup férir. A tout seigneur, tout honneur. Il le leur a rendu comme bon lui semblait au moment où, lui-même, il a choisi de le faire.

June 28, 2004

Se faire taxer de 'infréquentable' par un pasionaria zanartiste de sous-pubard friqué de l'espèce pédaloïde chemise brune (en proie à de forts dérèglements hormonaux ainsi qu'une hyprocrisie aiguë dont ce triste sbire est, sans aucun doute, une espèce de fleuron), qui se terre dans sa boîte de com' où il tripatouille son iMac quand il n'est pas en train de se taper des gueuletons de roi au café équitable de son quartier aisé, est le genre d'éloge dont je suis particulièrement friand.

June 13, 2004

Encore un timbré

-- Numéro 127 !

Après deux heures d'attente, je me pointe au guichet poisseux muni de ma liasse de papiers. Un bonhomme balourd me dévisage en regardant son bloc-note.

-- Donc, l'entreprise a pour but 'activités de banques de données'. C'est quoi ça? Vous avez des papiers pour ça?

Bien qu'ils ne soient pas très doués, les fonctionnaires ont tout de même ce don pour communiquer leur savoir-faire en matière d'échecs cuisants.

En un instant, je décèle l'intellect éteint de celui dont toute soif de connaissance est étanchée depuis qu'il a obtenu son brevet d'études, la dégaine flasque de l'être qui slalome entre les amoncellements de paperasserie, l'ignorance de celui qui ne s'est jamais aventuré plus loin que le Club Momo Framtour demi-pension le plus proche, la hargne du teckel qui voit un os plus gros que le sien, l'envie de celui qui n'a jamais vibré pour la moindre prise de risque, la jalousie malsaine de celui qui a depuis longtemps oublié l'idée même de ce que pourrait être l'ambition, le désespoir hystérique de celui qui a manqué tous les coches, y compris le corbillard qui aurait dû l'embarquer depuis longtemps, et le vide assourdissant qui retentit au tréfonds du réceptacle le plus creux.

Moi, je ressens juste une haine méritée envers un sangsue qui ne fait pas grand chose et qui a le culot de s'en enorgueillir. Le tout à mes dépens, merci du peu.

S'il est vrai que toute notre vie défile devant nos yeux au moment de notre mort, il est également vrai que la vie ratée d'un fonctionnaire est estampillée à jamais sur ses rétines mornes.